S’il existe de nombreux stéréotypes concernant les Allemands, l’un d’eux revient particulièrement souvent : les Allemands sont nudistes. Si cette affirmation s’avère très réductrice et globalement fausse, elle exprime toutefois une part de vérité qui provient d’une réelle culture du corps libre en Allemagne. Cette culture, appelée Freikörperkultur ou FKK, se distingue du simple nudisme et se définit en réalité presque comme un mouvement philosophique. Mais d’où vient donc cette FKK, comment se définit-elle ? La pratique-t-on encore aujourd’hui ?
Qu’est-ce que la Freikörperkultur ?
En Allemagne, la Freikörperkultur désigne la « culture du corps libre ». Elle est plus souvent abréviée en FKK. Il s’agit d’un réel mouvement dont l’origine se situe au début du 19e siècle, qui ne se limite pas au nudisme, mais s’apparente plutôt au naturisme. En effet, si le nudisme désigne simplement le fait d’être nu dans un espace public, la FKK implique un rapprochement avec la nature, un retour aux racines. Comme son nom l’indique, la culture du corps libre encourage à être à l’aise avec son propre corps et à accepter celui des autres, le tout sans aucun jugement. En outre, dans de nombreux pays du monde, la nudité reste souvent associée à la sexualité. Pourtant, il faut bien garder à l’esprit que la Freikörperkultur cherche justement à briser cette association : un corps nu ne doit pas forcément être en lien avec une quelconque composante sexuelle.
Comment se pratique la Freikörperkultur en Allemagne ?
Si la FKK se révèle particulièrement ancrée en Allemagne et dans les autres pays germanophones, il est évident que tout le monde ne la pratique pas. On observe déjà une différence entre les générations : ce sont surtout les 50-60 ans qui restent séduits par cette pratique qui, concrètement, est en perdition. Bien entendu, certains jeunes élevés dans cette culture continuent à la perpétuer, mais il ne s’agit pas de la majorité.
On observe également des différences régionales. La FKK se pratique bien plus souvent dans les grandes villes comme Berlin ou Munich, où il n’est pas réellement rare de croiser des personnes dans leur plus simple appareil dans un parc, par exemple. Cela dit, il existe des zones dédiées (appelées « FKK-Zone ») partout en Allemagne qui permettent de se mettre à nu sur des plages, près des lacs, dans des campings et même sur des lieux de randonnée en montagne. En outre, la culture du corps libre se révèle bien plus marquée dans l’ancienne Allemagne de l’Est (RDA), puisque la FKK y était particulièrement développée.
Même en-dehors de la Freikörperkultur en tant que telle, on observe un rapport au corps très différent entre l’Allemagne et les pays francophones, par exemple. Grâce à cette culture, la vision du corps nu s’avère beaucoup moins pudique en Allemagne qu’ailleurs et permet plus d’acceptation. Par exemple, en Allemagne, il faut être nu pour entrer dans un sauna, mais cela ne s’apparente pas réellement à de la FKK. Il s’agit alors plutôt d’une forme d’ouverture culturelle.
D’où vient la Freikörperkultur ?
S’il s’avère compliqué d’associer une date précise à la naissance de la Freikörperkultur, on peut toutefois la situer vers le 19e siècle. À ce moment, la Révolution industrielle est bien en marche et donne naissance à des mouvements d’opposition principalement par des jeunes, appelés Jugendbewegung (« mouvement de jeunesse »). Ces derniers souhaitent retrouver un rapport à la nature et un certain calme, en opposition à l’industrialisation qui fait rage en Europe. Ensuite, au début du 20e siècle, le mouvement continue à prendre de l’ampleur. La République de Weimar vient de voir le jour, laissant derrière elle une Allemagne impériale beaucoup plus austère. Un sentiment de liberté se développe, surtout au sein de la classe bourgeoise, incitant cette dernière à changer de mode de vie et s’ouvrir davantage : on assiste à une véritable Lebensreform (« réforme de vie »).
Après la Seconde Guerre mondiale, la FKK continue à se développer, tout particulièrement en RDA. Cette popularité régionale ne s’explique que par des théories assez contradictoires, mais qui peuvent toutes avoir du sens. L’une de ces théories avance que les citoyens de la RDA, opprimés sous la dictature socialiste, voyaient en la FKK un moyen de se relâcher, se libérer, voire protester contre le régime. En effet, la pratique de la Freikörperkultur s’est avérée totalement interdite jusqu’à l’arrivée au pouvoir d’Erich Honecker en 1971. Cela dit, il existe une autre théorie qui contredit complètement la première. Car dans un sens, l’image d’un groupe de personnes toutes ensemble dans leur plus simple appareil, cela reflète aussi un peu le communisme. On peut aussi considérer l’image de se mettre à nu, s’exposer face à l’État. Ce sont ces images qu’Honecker avait en tête lorsqu’il a à nouveau autorisé la pratique de la FKK : cette dernière redorait en outre le blason de la RDA face au reste du monde, donnant l’impression d’un État de liberté.
La Freikörperkultur aujourd’hui : en voie de disparition ?
À partir de la réunification de l’Allemagne en 1990, la pratique de la FKK a commencé à chuter indéniablement. Aujourd’hui, ce sont surtout les personnes plus âgées qui la pratiquent. Une tendance qui s’explique facilement : les jeunes générations ne sont plus aussi à l’aise avec leur corps que leurs aïeux. Certes, les complexes liés à l’adolescence entrent en jeu, mais il faut également mettre en cause la mondialisation qui apporte l’influence d’autres cultures plus pudiques. En outre, à l’ère du numérique, certains jeunes craignent l’omniprésence des smartphones équipés de caméras et appareils photo, ainsi que les réseaux sociaux qui permettent de diffuser rapidement un contenu compromettant.
La Freikörperkultur se pratique donc encore beaucoup dans les lieux dédiés, même si les jeunes ne répondent plus vraiment présent. De manière générale, la culture allemande est beaucoup plus ouverte face à une nudité non-sexualisée. Mais qu’on la pratique ou non, la FKK continue encore et toujours à transmettre des valeurs d’ouverture d’esprit d’acceptation de son propre corps, elle apprend à ne pas avoir honte d’être soi-même et se montrer tel qu’on est.