Toute personne qui s’intéresse à l’allemand le sait : la grammaire allemande comporte quatre cas, le nominatif, l’accusatif, le datif et le génitif. Toutefois, comme toutes les langues vivantes, l’allemand évolue, y compris d’un point de vue grammatical. Ainsi, on entend de plus en plus parler d’une éventuelle disparition du génitif, ou plus exactement, d’un remplacement de ce dernier par le datif. Une série de livres a même été écrite sur le sujet et de nombreux débats font encore rage sur la question. Mais dans quelle mesure observe-t-on ce « remplacement » dans la langue ? Le génitif va-t-il réellement disparaître ?
Avant tout, quelques mots sur le génitif afin de mieux comprendre la suite. De la même manière que l’accusatif s’applique au complément direct, le génitif est le cas du complément du nom. Il s’emploie donc pour désigner l’appartenance : il répond à la question “wessen?” (de qui/de quoi ?), et est aussi exigé par certaines prépositions comme wegen, laut, trotz,… Quant au datif, il s’applique au complément indirect et répond donc à la question “wem?” (à qui/à quoi ?), il doit aussi s’utiliser après certaines prépositions comme von, zu, seit,… Ces deux cas ne sont donc théoriquement pas interchangeables, mais leurs usages ont de plus en plus tendance à se confondre.
„Der Dativ ist dem Genitiv sein Tod“
Les premiers cas de remplacement du génitif par le datif se sont observés dans les dialectes allemands, notamment en Bavière, où le dialecte n’utilise que très peu le génitif. Dans les années ’80, le titre d’un album à succès de la chanteuse bavaroise Nicki a fait parler de lui : « Wegen dir ». Comme on l’apprend dans les manuels d’allemand, la préposition « wegen » est normalement toujours suivie du génitif. La même année, le chanteur autrichien Udo Jürgens, décidé à se battre pour le génitif, a sorti à son tour un album du nom de « Deinetwegen », à savoir la forme grammaticalement correcte de l’expression.
Il est possible que vous n’ayez même jamais entendu quelqu’un dire « deinetwegen » au lieu de « wegen dir », pour la simple raison que cet emploi du datif s’est complètement démocratisé au fil du temps. Aujourd’hui, le dialecte bavarois n’est plus le seul à se passer toujours plus du génitif : c’est un phénomène observé partout en Allemagne et en Autriche.
Concrètement, on constate plusieurs cas où le génitif se voit remplacé par le datif. Notons que le plus souvent, ce réflexe s’observe plutôt à l’oral et dans un registre de langue allant de familier à courant. Ainsi, en Allemagne, les prépositions qui exigent normalement le génitif, comme « wegen », « trotz » ou « während » sont de plus en plus utilisées avec le datif. Par exemple :
Forme correcte : Während des Unterrichts darf nicht gesprochen werden.
Forme (de plus en plus) courante: Während dem Unterricht darf nicht gesprochen werden.
Ou encore :
Forme correcte : Trotz des schlechten Wetters spielten die Kinder draußen.
Forme (de plus en plus) courante: Trotz dem schlechten Wetter spielten die Kinder draußen.
Un autre emploi du génitif se voit également menacé : le génitif de possession, qui est souvent remplacé par von (+Datif), voire par une autre formulation plus curieuse. Pour désigner la voiture du père, il faut normalement dire « das Auto des Vaters ». Toutefois, on entend toujours plus souvent « das Auto von dem Vater », voire parfois… « dem Vater sein Auto ».
„Der Dativ ist dem Genitiv sein Tod“ reprend cette dernière formulation : il s’agit d’une expression très connue qui signifie « le datif est la mort du génitif ». Il s’agit en réalité du titre de la série de livres mentionnée au début de l’article : écrite par Bastian Sick, elle traite avec humour des sujets de discorde concernant la grammaire, l’orthographe et la ponctuation en allemand, y compris l’emploi du datif à la place du génitif. En allemand traditionnel, il aurait d’ailleurs fallu dire « Der Dativ ist der Tod des Genitivs » ou « Der Dativ ist des Genitivs Tod ».
Disparition ou évolution ?
Malgré tous les exemples précités, peut-on réellement considérer que le datif tue le génitif, que ce dernier est voué à disparaître ? N’en soyons pas si sûrs.
Comme mentionné plus haut, ces emplois s’observent le plus souvent dans la langue orale et familière. Ainsi, le datif remplace rarement le génitif à un niveau de langue plus soutenu, dans le milieu professionnel ou dans les romans, par exemple. En outre, on observe même le phénomène inverse ! Certaines prépositions qui demandent le datif sont parfois utilisées fautivement avec le génitif, comme « gemäß » ou « entsprechend ».
Dans tous les cas (sans mauvais jeu de mots), ces tendances font partie d’un procédé naturel dans toutes les langues vivantes. Une langue qui n’évolue pas est une langue morte, et peu importe les règles grammaticales, ce sont les emplois des locuteurs qui définissent cette évolution. Cela dit, le génitif n’est pas sur son lit de mort et ne le sera pas avant longtemps : il fait intégralement partie de la langue allemande et conserve toute son importance dans la plupart des usages. Outre les expressions « wegen dir » ou « das Auto von Emma » qui ne choquent plus personne, les autres emplois du datif à la place du génitif continuent majoritairement à déranger et à être évités.